[16 novembre 1596 - En fin de matinée][La suite de là !]

Ailean prit la tête de leur convoi jusqu'à l'entrée de la demeure, se permettant même un rire à la réflexion d'Oengus.

"Je vous le permets, mon sens de l'humour est moins tatillon que celui de la plupart des écossais."

Elle se drapa de sa cape avant qu'ils n'atteignent la porte principale et elle se retourna à demie pour répondre à la question suivante.

"Juste une, en plus de vous. Et il a toute ma confiance, pour absolument tout."

En dehors de son coven, des autres wiccan qu'elle connaissait et des créatures surnaturelles comme Oengus qu'elle pouvait côtoyer, il n'y avait que deux personnes qui avaient connaissance de son statut surnaturel : Isobel et son frère Iarbonel, de quelques années son aîné. Tous deux l'avaient accompagné quand elle avait dû quitter sa tante et sa famille pour se marier. Les années avaient tissé des liens de confiance entre Ailean et les deux membres de la fratrie Fleming. Qui plus est, n'importe qui avait besoin de personnes de confiance autour de lui, et Ailean n'était pas différente. Le frère et la sœur avaient accès à des lieux qui étaient interdit à Ailean du fait de son statut, et les deux n'étaient pas totalement étranger aux informations qu'elle avait en sa possession. De fait, Iarbonel était la seule personne à qui elle aurait pu demander de les accompagner jusqu'au repaire de la meute.

Au dehors, l'orage ne paraissait pas encore vouloir les gratifier de sa présence, ce qui était une bonne nouvelle. Les trois chevaux les attendaient comme promis. Un palefrenier tendit les rênes du sien à Oengus, tandis que Iarbonel aidait la baronne à prendre place sur la sienne, avant d'enfourcher la dernière restante. Ailean prit la route qui les ferait quitter les abords de la bâtisse et cala le pas de son cheval sur celui de son invité, Iarbonel à quelques pas en arrière.

"À combien de temps à cheval se trouve votre demeure ?" demanda-t-elle en jetant un regard au ciel, malgré tout toujours menaçant.

Oengus se saisit des rênes que lui tendait le palefrenier avant de flatter l'encolure de sa monture avec gentillesse. Rapidement, il se mit en selle puis, fit avance son cheval d'un petit coup de talon afin de suivre sa compagne de voyage. Ils quittèrent la demeure de la Baronne aux trots, laissant l'immense bâtisse bien vite derrière eux pour gagner la protection qu'offrait la frondaison des arbres se trouvant sur le chemin qu'ils empruntèrent. 

- Deux bonnes heures si nous parvenons à conserver une bonne allure. Un peu moins si nous lançons nos montures aux galops. Il faudra néanmoins faire attention aux abords de l'Abbaye, elle est entourée par les tourbières. 

Le regard de l'Alpha se fit trouble alors qu'il fixait un point invisible légèrement au dessus de l'épaule d'Ailean.  

Ailean resserra les pans de sa cape autour de son cou et acquiesça aux propos d'Oengus. Les tourbières étaient une plaie de leur pays et on ne comptait plus les événements dramatiques qui s'y passaient. Et ce n'était pas les meurtres qui s'y déroulaient en ce moment qui allaient contredire la baronne.

"Alors gagnons du temps en accélérant maintenant."

Mais Ailean ne fut pas certaine que son compagnon de route l'avait entendu. Elle dirigea son regard vers ce qui avait attiré celui du loup-garou, mais rien en particulier n'attirait son regard. Cela étant dit, les créatures surnaturelles comme Oengus avaient un flair et un instinct bien plus développés que celui d'un être humain lambda ou d'une wiccan.

"Quelque chose ne va pas ?"

En observant plus attentivement Oengus, Ailean reconnaissait sur le visage de ce dernier cette expression si familière à son enfance. Elle qui ne pouvait le percevoir sur ses propres traits - lorsqu'elle usait de son don - se souvenait avoir contemplé tant de fois les membres de sa famille l'arborer. Ses paroles prononcées de vive-voix ne semblaient atteindre l'Alpha qui se mit soudainement à grogner - ses lèvres retroussées et ses crocs bien visibles - et dont les pupilles venaient de virer au fauve. 

La Baronne possédait la puissance nécessaire pour percevoir les pensées d’autrui mais, rares étaient les esprits avec lesquels elle pouvait converser. Bien qu'elle ne comprenait la magie de la meute, son Alpha semblait faire preuve d'un pouvoir similaire au sien.

Là où les mots s’avéraient inutiles serait-il possible que la pensée réussisse ?! 

À la première manifestation de danger venant du chef de meute, Iarbonel rattrapa l'écart qu'il avait laissé par respect entre lui et les deux nobles, la main sur l'épée à son côté pour prévenir toute attaque quelconque. Ailean posa la main sur le bras de l'ainé d'Isobel et secoua la tête négativement.

"Il n'est plus avec nous, il ne doit même pas nous entendre."

Ailean n'avait jamais l'occasion de se voir dans un miroir quand elle usait de ses propres dons, mais elle avait à loisir observer ses parents le faire, sa tante Margaret ou sa cousine Mary. Quand on utilisait ses dons, on en oubliait le monde extérieur, tout entier concentrer sur les pensées, les sentiments et les énergies nécassaires. Oengus, pour sa part, avait des réactions plus... violentes qu'à l'accoutumée. Enfin, cette violence n'était pour le moment pas dirigée contre elle, mais contre une personne ou un événement dont elle n'avait pas connaissance.

Ce n'était pas une option pour elle de s'approcher, et il ne lui restait plus qu'un moyen de se faire entendre. Ailean n'avait jamais entrepris quelque chose de ce genre avec une personne qui n'était pas quelqu'un avec le même don que le sien et avec qui elle avait l'habitude de faire ce genre de chose. Elle ne savait pas comment les choses allaient tourner, mais elle prit sa décision en quelques secondes.

"Je vais essayer de le contacter. Si quelque chose se passe mal, ramène-moi."

La baronne n'était pas totalement rassurée mais elle finit par relâcher le bras de Iarbonel et usa de sa télépathie pour renouer la conversation avec le chef de meute :

Oengus, vous m'entendez ? Que vous arrive-t-il ?

La baronne éprouva une difficulté certaine à unir son esprit à celui d'Oengus. Cependant à force de persévérance, elle parvient à franchir ce qui ressemblait - faute de terme adéquate - le plus à des barrières mentales à ses yeux. Et alors qu'habituellement, elle l'aurait reçu de plein fouet, cette fois si la vague de douleur lui parvient avec ... douceur ? Elle ne comprenait pas vraiment ce qui était en train de se passer mais cette "douleur" ne provenait pas directement de l'Alpha comme si ... comme s'il n'était que le récepteur ! Cela ressemblait - tout en étant à la fois différent - de son empathie. 

Morte ... 

Voilà l'unique mot qu'elle parvient à saisir dans l'esprit du Werewolf. Le reste de la phrase étant brouillé - comme le son d'une radio perdant le signal dès l'instant où la voiture pénètre dans un tunnel - et bien qu'elle avait beau essayé de se concentrer pour pallier à ce problème cela restait identique. Néanmoins, si les mots lui faisait défauts, les sensations étaient bien présente dans l'échange. Elle ressentait un mélange de tristesse et de douleur provenant à la fois d'Oengus et d'une tierce personne.

HJ : Pas sûre que la métaphore d'une voiture dans un tunnel soit claire pour ma baronne du passé x)

Avait-elle perdu la main ? Il fallait bien avouer que dans son coin de campagne, Ailean avait peu souvent l'occasion de se servir de son talent de télépathe. Ou était-ce la condition de werewolf d'Oengus et la sienne d'humaine qui rendait le lien plus difficile à établir ? Ailean n'aurait su le dire, elle n'avait jamais expérimenté ça... Et même si c'était difficile, la baronne était également ravie. Imaginez, qui avait déjà eu l'occasion, auparavant, de lier son esprit à celui d'un représentant d'une autre espèce surnaturelle ? Oengus n'avait pas voulu répondre à sa question au castel, mais il lui donnait une occasion unique d'apprendre quelque chose sans le vouloir.

Mettant de côté son sentiment, Ailean prit le temps d'analyser la situation. Comme si un mur continuait de séparer son esprit de celui d'Oengus, ce mur filtrait les sentiments qu'elle aurait dû recevoir clairement. Sans la bonne préparation, elle aurait même dû subir plus que recevoir les sentiments qui l'effleuraient à cet instant. C'était déroutant. Ailean comprenait toutefois une chose : elle ne percevait pas seulement la tristesse d'Oengus, mais aussi celle d'une autre personne. L'alpha était la pierre angulaire de sa meute, le catalyseur des énergies des membres de la meute. Il devait ainsi avoir amorti le choc des sentiments déchirants de cette autre personne inconnue. Et la baronne pensait comprendre qu'elle s'était immiscée dans un événement qui ne la concernait en rien, dans son inquiétude.

Un empathe devait très tôt apprendre à maîtriser ses émotions et celles des autres s'il ne voulait pas devenir fou. Ailean s'était servie plus d'une fois de son empathie pour calmer des ardeurs belliqueuses. Elle était une éponge, elle absorbait les émotions et les digérait, en espérant qu'elles ne lui resteraient pas sur l'estomac trop longtemps. Alors Ailean ne chercha pas plus longtemps à essayer d'en entendre plus et gaspiller son énergie. Elle s'éloigna pour rester à la périphérie de la conscience d'Oengus, aspirant tristesse et douleur à elle, tout ce qu'elle pouvait faire à ce moment précis pour le soulager.

La jeune femme concentra une parcelle de son esprit à déterminer quelles seraient les conséquences de ses actions sur son état physique. Devait-elle s'attendre à un retour de bâton sévère ?

Hj : Mais la joueuse derrière doit en saisir le concept .

En un geste altruiste, Ailean décida de venir en aide à l'Alpha en aspirant une partie de ses émotions. Habituée à ce genre d'action, elle œuvrait sur lui en le considérant tel un "patient" lambda et si au début tout s'écoulait comme à l'ordinaire, le débit de sentiments augmentait progressivement. A la douleur et à la tristesse vint s'ajouter une palette d'autres sentiments tel que la colère, le dégoût, la honte etc.

Ce maelstroms devient rapidement insupportable pour cette pauvre Baronne qui n'était pas habituée à recevoir ainsi les sentiments d'une quinzaine de personnes. Malgré ses tentatives pour s'isoler, elle perdait lentement pieds en ayant conscience de la situation. Elle une empathe puissante, formée et expérimentée se trouvait soudainement prise au piège de son propre don.

Le monde devient flou sous son regard ! Elle ne put retenir un hurlement puis, elle sentit son corps partir dans le vide.

Une débutante, Ailean avait l'impression d'être une débutante complète ! À quoi servaient ses années d'entrainement et de contrôle sur soi-même, si, à la première nouveauté, elle s'écroulait comme un tas de chiffons ? Ah oui, tout allait parfaitement bien au début. Tout allait toujours parfaitement bien au début. La baronne absorbait comme une éponge les sentiments conflictuels qu'elle percevait chez Oengus, elle absorbait et digérait, comme elle le faisait d'habitude. Mais ce qui n'était pas habituel, et qu'elle n'avait pas correctement pris en compte dans ses projections, était bien la notion de meute chez les werewolves. Une, deux ou trois personnes, elle pouvait encore gérer, mais quinze ? Ou plus ?

C'était comme une rivière qui débordait de son lit. Les canaux mentaux d'Ailean, quoi qu'entraînés et résistants, ne l'étaient pas assez pour ce genre de flux d'émotion, et ce qui devait logiquement arriver arriva. Ailean ne s'était jamais autant détestée que maintenant. Elle ne retint pas le cri rauque qui franchit ses lèvres. Dans un sursaut de conscience, elle espéra que Iarbonel aurait la présence d'esprit de lui éviter une chute qui serait potentiellement douloureuse, pour son corps comme pour son ego, avant qu'un voile sombre ne recouvre ses yeux et qu'elle ne bascule sur le côté.

Aussi agile que pouvait l'être Iarbonel, il ne pouvait malheureusement être au four et au moulin en parallèle. Les rênes du palefrois toujours en main, il esquissa un geste en direction de sa maîtresse mais le corps de cette dernière chut à même le sol. Le coup sur la tête qui en résulta associé au choc empathique envoya définitivement Ailean au pays des songes. Son esprit ainsi inerte désactiva le don qui la tourmentait et à coup sûr, madame la baronne en serait quitte pour un mal de crâne atroce lors de son réveil.

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