[19 novembre 1596 - En début d'après-midi]

Le ciel était orageux et la pluie ne tarderait bientôt plus à transformer en bourbier les routes et chemin du village de Bun Cranncha, et malheureusement pour Géileis, c'est ce moment précis qu'avait choisi son père pour l'envoyer en courses au sein de ce même village. Pester n'y avait rien changé et bon gré, mal gré, Géileis avait ravalé ses protestations pour faire ce qu'on lui demandait.

Chemin faisant, elle avait emprunté une ruelle peu fréquentée du fait de la pluie qui avait -bien entendu- commencé à tomber. Le nez baissé sur ses chaussures, Géileis ne vit pas arriver le choc. Rien de bien violent, mais cela fut suffisant pour tirer un "ouch" fort peu protocolaire à la seconde victime.

"Oh, pardon, je suis désolée, je ne regardais pas.... où j'allais."

L'inconnue, une blonde portant une cape doublée pour se protéger de la pluie, avait marqué un temps d'arrêt dans ses excuses en remarquant à qui elle avait affaire. Elle s'était rapidement reprise, mais pas suffisamment pour que cela échappe à Géileis. Et la blonde restait ainsi, les bras ballants, sans pouvoir détacher son regard de la jeune fille qui lui faisait face.

Occupée à converser avec des habitués de la taverne, Géileis fut rapidement interpellée par son paternel. Ce dernier lui demanda gentiment de se rendre en urgence chez le boulanger pour y récupérer la commande de pain puis, de faire un détour par la boucherie, afin d'acheter quelques morceaux de viande manquant pour confectionner le ragout qui servirait de plat ce soir.

Devant les nombreux refus de celle-ci à sortir à l’extérieur, le ton ne manqua pas de s’élever au milieu de la pièce commune. Sous la menace d'une bonne correction bien méritée et les regards hilares des hommes, la jeune femme céda et disparut dans les arrières de l'établissement pour y chercher cape et gants qui lui permettrait d'affronter le froid de l'automne.

Géileis quitta les lieux en usant de la porte située à l'arrière et, après avoir observer le ciel orageux, se dépêcha de rejoindre la place principale en empruntant une ruelle peu fréquentée à cause de la pluie qui commençait à s'abattre sur le bourg. 

Pestant contre son géniteur en maugréant dans sa barbe, le regard dissimulé sous la capuche de sa cape, la jeune femme ressentit bien plus qu'elle ne vit le choc survenir. Après quelques pas en arrière tout en relevant la tête pour dévisager celle qui venait de la bousculer ; Oui ! C'était là de la totale mauvaise foi, puisqu'elle était très certainement responsable de la situation ; Leis retient une remarque acerbe. 

- Oh, ce n'est rien, vraiment ! Je n'étais guère plus attentive que vous à vrai dire. 

Le travail à la taverne avait aiguisé son sens de l'observation ainsi le temps d'arrêt durant les excuses de l'inconnue ne lui avait échappé. Puisque l'autre ne se privait pas de la dévisager grossièrement, Géileis en fit de même. 

- Vous n'êtes pas du village il me semble. Je peux vous venir en aide d'une quelconque manière ? 

Elle apprécierait une réponse négative car, son temps était précieux et les provisions ne viendraient pas d'elles même à la taverne de son père.

Aislin comprit trop tard qu'elle avait fait une erreur. Elle avait beaucoup voyagé jusqu'à aujourd'hui, elle avait appris à être une parfaite femme du monde qui ne se laissait pas déstabiliser pour des broutilles et voila qu'à peine revenue à son point de départ... tout volait en éclat ! Aislin avait également une fâcheuse tendance à dramatiser les situations. Un rire nerveux lui échappa avant qu'elle ne s'en rende compte et ferme la bouche avant de s'enfoncer plus encore, pendant que son Moi intérieur levait les yeux au plafond de sa conscience.

"Alors disons que c'est la faute au destin."

Aislin avait appris avec l'expérience que rien n'arrivait jamais par hasard et elle était du genre à prendre les événements comme ils venaient. Il ne servait à rien de se faire des nœuds au cerveau, on gagnait toujours du temps à faire de son mieux avec les cartes que l'on avait en main que de chercher à tricher sans certitude de résultat. La jeune femme afficha donc son sourire le plus sincère et fonça dans la bataille.

"Disons plutôt que cela fait très longtemps que je n'y suis pas revenue," dit-elle pour répondre à la question implicite de sa vis à vis sur sa provenance. "Je cherche donc un lieu pour me restaurer et passer la nuit, si vous pouvez me renseigner ?"

Son sourire toujours aux lèvres, Aislin brandit ses antennes, parce que ne pas tricher ne voulait pas dire qu'elle n'allait pas utiliser tous les tours qu'elle avait dans sa manche.

Le rire nerveux qui s'échappa des lèvres de l'inconnue inquiéta, interloqua, intrigua [rayer la ou les mentions inutiles] Géileis dont les sourcils se soulevèrent. Alors qu'elle se mordillait la lèvre inférieur pour éviter de faire une remarque déplacée, la jeune femme songeait intérieurement que l'autre femme était un brin étrange. Peut-être se révélait-elle un peu paranoïaque mais, depuis que ses dons s'étaient activés, il se trouvait que la wicce n'accordait guère sa confiance. Le bûcher, très peu pour elle !!

Par chance, il pleuvait aujourd'hui ! Géileis ne se retrouvait donc pas sans défense dans l'éventualité où, l'inconnue voudrait lui faire le moindre mal. Sur la defensive justement, elle répliqua gentiment :

- En parlant du destin, voilà que vous venez de bousculer la fille du tavernier. Nous avons quelques chambres de libres dans notre établissement. Rien de comparable à l'auberge du village mais, les chambres sont propres et mon père prépare le meilleur ragout des alentours. Oh, je manque à toutes les manières, Géileis O'Cartháin !

Termina-t-elle d'un hochement de tête. Dans l'éventualité où elle se tromperait, il serait dommage de perdre une cliente potentielle. Et si jamais elle avait raison au sujet de l'autre femme, il serait certainement intéressant dans la garder à l’œil.

En réponse, Aislin inclina également la tête avant de répondre :

"Aislin Marsh, ravie de vous rencontrer Géileis."

Comme cela faisait des années qu'elle n'avait pas remis les pieds au village, Aislin n'avait que des souvenirs fragmentaires de la disposition des commerces. Qui plus est, depuis cette époque, les choses avaient peut-être changé également. Tout, sauf les routes boueuses par temps de pluie bien sûr. Heureusement pour elle, elle avait préféré une tenue pratique mais toujours de bonne qualité pour son retour au source. Aislin n'avait franchement aucune envie de crotter une belle robe.

"Je suis toute prête à vous suivre, demoiselle O'Cartháin. Est-ce pour les besoins de la taverne que vous avez osé braver le froid et la pluie ?"

La conversation de salon, rien de mieux pour briser la glace. Un exercice qu'Aislin avait appris à maîtriser après beaucoup d'effort sur elle-même.

Géileis hocha la tête en un petit signe de confirmation aux suppositions de la blonde. En soit, la pluie ne la gênait le moins du monde et seul le froid de l'automne aurait pût être un problème aujourd'hui. Le réel problème de la journée était son père et ses maudites courses à effectuer à cette heure si. Elle ne serait jamais sortie de son propre chef, préférant plutôt flâner au coin du feu à l’intérieur de la taverne.  

- Je n'ai rien contre le fait que vous m’accompagniez Damoiselle Aislin mais je brave les éléments justement pour aller faire des achats de dernières minutes. Il serait peut-être plus confortable pour vous d'aller directement à la taverne de mon père, il vous suffit pour cela d'aller au bout de cette ruelle puis, de tourner sur votre droite. C'est le bâtiment qui fait l'angle, vous ne pouvez pas le manquer. Dites à mon père que vous venez de ma part et si vous désirez prendre un bon bain chaud pour vous détendre de la fatigue du voyage, dites-lui que je vous l'ai promit. Mon frère aura de ainsi de quoi s'occuper plutôt que de paresser dans les arrières. 

Elle savait parfaitement qu'elle était de sortie en ville par sa faute car monsieur avait dût encore refuser d'y aller et que son père comme à son habitude s'était tourné vers elle pour faire les courses. Ce n'était donc que justice qu'il monte des baquets d'eau chaude à l'étage pour une charmante voyageuse. 

Ainslin ne le montra pas, mais elle était plutôt soulagée d'avoir la bonne excuse de se mettre à l'abri, au chaud, plutôt que de patauger dans la boue pour aider sa nouvelle connaissance. Oh, elle était courageuse et prête à se salir si la situation l'exigeait, mais la situation l'exigeait-elle, à ce moment précis ? Certainement pas, et Aislin n'allait pas sacrifier sa robe sans raison. Elle nota les détails de la route à prendre pour rejoindre la taverne (ah, un bain, un bon feu de cheminée et une assiette fumante de ragoût !) et inclina légèrement la tête.

"Alors nous nous retrouverons là-bas dès que vous aurez terminé vos corvées, demoiselle Géileis."

Et elle prit la direction donnée jusqu'à la taverne.